La
première fois que je suis parti en voyage pour quelques mois, j’avais 23 ans.
Je venais d’assumer mon homosexualité cinq mois plus tôt. Mon billet était pris
pour la Thaïlande, le Laos, le Vietnam et le Cambodge. Quatre jours avant mon
départ, j’accompagne deux amis à une soirée où un de leurs amis est présent. Je
ne le connaissais pas. Il parle beaucoup. Je n’apprécie généralement pas
particulièrement les nouvelles rencontres, car, même si de l’extérieur ça ne
parait pas, ça me gruge beaucoup d’énergie. Peut-être est-ce parce que je veux
faire bonne impression, ce qui me laisse moins être moi-même. La soirée est
agréable et je retourne à la maison en voiture, à Mont-Saint-Hilaire. Il est
1h30 du matin. L’autre ami, avec qui ça ne connecte pas du tout avec moi,
habite à Longueuil près du pont Jacques-Cartier. Celles et ceux qui connaissent
le secteur comprennent que ce serait malpoli de ne pas lui offrir de le déposer
à la maison. Seul avec lui dans l’auto, les 25 minutes nous obligent à
discuter. Je me rappelle avoir dit que j’étais un gai triste. Ça voulait dire que malgré mon orientation sexuelle,
j’avais envie de vivre une relation à long terme et possiblement éduquer des
enfants. En déposant l’ami, il me dit « Si tu ne partais pas dans trois
jours, je t’inviterais prendre un dernier verre. » Je lui réponds
platement et avec ambigüité « Je pars dans trois jours… » Voyant que
j’envoie des signaux très confus, l’ami pose la question
directement « Veux-tu prendre un dernier verre? » Samuel et moi
nous sommes revus chaque soir avant mon départ vers Bangkok ce mois de juin,
sans promesse de s’attente pendant les trois prochains mois.
Mon
premier voyage en solitaire a eu lieu peu de temps après une période plus
difficile de ma vie – mais oh combien structurante pour la personne que je suis
aujourd’hui. Ces semaines à découvrir des pays à la langue étrangère me
permettraient de poser un autre regard sur la vie, de mieux comprendre l’Autre.
Quelques jours après mon arrivée en Asie du Sud-Ouest, je réalise rapidement
qu’un travail d’introspection profonde. L’illusion du voyageur en solitaire
inexpérimenté, c’est celui de croire que ce moment sera l’occasion de se mettre
sur pause et de penser à autre chose qu’à sa vie. Voyager hors de ses repères,
seul avec soi-même, nous plonge au plus profond de notre personne. Alors qu’on
croyait prendre une pause de notre vie, hors de nos repères, il ne reste plus
que soi. On a tout laissé derrière nous, mais on a oublié que notre pensée,
notre personne et nos obsessions nous accompagneraient. Elles sont là, et plus
rien pour les cacher. On peut alors se fuir ou se laisser aller à un voyage
intérieur. Pendant mon premier voyage en solitaire, j’aurai beaucoup appris sur
l’Autre, mais, jamais autant que sur moi.
La
semaine qui a suivi mon retour d’Asie, Samuel et moi nous sommes revus. Nous
nous attendions sans nous l’être dit. Depuis, vous connaissez la suite…
Sept
ans plus tard, j’avais cette fois très hâte de me retrouver seul avec moi-même
en Finlande. J’ai appris à apprécier ces moments d’une rare intensité pendant
lesquels une situation banale peut devenir euphorique et des tracas anodins
nous rester dans la tête trop longtemps. En fait, on apprend à découvrir plus
en détail les patterns de notre cerveau, plus difficilement décodables dans le
quotidien. On prend aussi le temps de réfléchir à de nombreux sujets de notre
vie. On remet en question des décisions, parfois pour les changer, d’autres
fois pour mieux les assumer. On se fait le très rare cadeau de penser à soi
pour ressortir plus fort de cette expérience.
Les
quatre premières semaines de ce voyage auront été les miennes. En cette année
pendant laquelle je porte les 30 ans, les sujets de réflexion ne manquent pas. La
trentaine est-elle cette tranche du développement professionnelle? Comment
est-ce que je vivrai ma vie comme père? Serai-je bon? Est-ce que je vivrai
sereinement cette diminution de ma liberté personnelle au profit de celle d’un
autre être humain? Est-ce que le rythme de vie que je mène au Québec est celui
que je souhaite? Pourquoi après 7 ans suis-je toujours avec Samuel? Est-ce à
mon âge qu’on se sent vieillir? Est-ce à cet âge qu’on devient adulte? Qui sont
les gens importants dans ma vie? Quelles sont mes valeurs? Ces questions sont
extrêmement saines. Toutes ne trouvent pas une réponse claire. Je ne prévois
pas de changements majeurs dans ma vie à mon retour, mais je sens que je la comprends
mieux, tout simplement.
En
ce qui concerne Samuel, je crois que lui et moi avons pris gout à ces moments
de distance. Ces semaines de recul nous permettent de réfléchir sur nous, et
surtout, de laisser monter le désir de nous retrouver. Et, certainement que ça
nous rappelle avec beaucoup d’émotion notre rencontre… Je l’attends avec
impatience en juin!
Je
rédige ces lignes pendant que ma mère et Michel dorment paisiblement leur
première nuit en Finlande. Je réalise un rêve de longue date, celui de découvrir,
accompagné de ma mère. Si on passe les 20 premières années de notre vie au
domicile familial, les moments de qualité prolongés avec nos parents surviennent
très rarement. Peut-être est-ce un rêve fou d’inverser les situations et d’à
mon tour, apprécier le regard naïf de ma mère dans un nouveau monde, comme
celui d’un enfant.
Il
est 4h à Montréal, 11h à Helsinki. Je vais partir le café.
Merci, cher ami. Tu as magnifiquement habité mon dimanche matin. Profites bien de ce moment avec ta mère et Michel.
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