Premières 24 heures

Lundi 14 avril. La première journée complète passée dans un nouveau pays en voyage s’avère particulière. On se rappelle avec beaucoup de sensibilité ces premiers moments, un peu comme certains passages anodins de notre enfance qui nous ont malgré eux marqués. Voilà comment j’ai vécu ma première journée complète en Finlande.

Ce premier jour, je dors avec beaucoup de plaisir, jusqu’à ce que je me décide à me lever vers 11h30. Bien que je paraisse paresseux, il est encore que 4h30 dans mon horloge biologique du Québec, soit sept heures de décalage horaire. Je règle alors plusieurs courriels. J’ai la chance d’avoir un déjeuner, car Venla m’avait acheté fruits et croissants au fromage et jambon pour mon premier levé. J’en profite pour faire mes premières leçons de finnois avec le livre que je me suis acheté avant mon départ. Confortablement installé dans mon appartement, je n’ai pas besoin d’affronter l’extérieur, soit les codes culturels que je ne comprends pas et surtout, le finnois qui m’effraie. Vers 14h00, je ne peux plus repousser le moment. Si je veux faire quelque chose de ma journée, je dois sortir dès maintenant…

Comme première destination, je décide d’aller au K Market – pas très finlandais comme nom –, le supermarché à deux coins de rue. À l’entrée, il semble avoir la même orthographe sur les deux portes. Je me dis que les deux doivent faire office d’entrée et de sortie. Bien joué! J’entre de ce fait dans le supermarché, directement dans le rayon des fruits et légumes. Que choisir, moi qui vais normalement dans une petite épicerie bio? J’ai de la chance, dans les grandes surfaces, les produits bios sont étiquetés. Pour m’éviter trop de choix, car ceux qui me connaissent bien savent que dans ces circonstances ça peut être long, je me concentre sur les étiquettes vertes avec l’inscription Luomo.

Arrivé dans la rangée des confitures, je valse à travers les choix. Un peu plus loin dans la même rangée, je regarde les différentes sortes de jus quand un pot de confiture, sans aide, tombe à la renverse à l’autre bout de la rangée. Seul, apeuré d’être montré du doigt, j’accours dans la rangée suivante. Comment pourrais-je expliquer que ce n’est pas moi si le commis ne comprend pas l’anglais? Je prendrai donc bien le temps de magasiner mes condiments avant de revenir aux jus… Le pot de confiture est déjà disparu.

Après avoir fait semblant de magasiner dans les surgelés pendant que j’observe trois clients passer aux caisses, je fonce, c’est à mon tour. Comme les autres, je prends les sacs de plastique dont j’aurai besoin avant tout sous le tapis roulant pour que la caissière les charge. Tout va bien! Au milieu de la commande, la caissière me montre un pamplemousse. Je lui fais un beau sourire – pensant m’en sortir – et je lui avance les deux autres pamplemousses. Elle me regarde encore en me parlant en finnois. Merde! Je garde le sourire. Elle part alors avec mon pamplemousse vers les fruits et légumes. Comme une éclaire de génie, je prends mes trois poires et les apporte avec moi. Bonne idée! Il fallait que je mette moi-même les fruits sur la balance pour les étiqueter avant de passer à la caisse… Merde encore! J’ai oublié sur le tapis automatique mes petites pommes de terre. Gentiment, la caissière demande aux autres clients derrière moi de bien vouloir passer à une autre caisse. J’ai survécu!

Après avoir défait ma commande, je prends le plan de la ville pour tracer le chemin de mon domicile à l’université. Je commence mon stage que le mardi, mais je veux savoir où je vais exactement. Et, disons que mon erreur de transport de la veille m’a donné une bonne leçon… Après près d’une heure de préparation à regarder les plans et à m’assurer que j’ai bien noté tout ce qu’il me fallait, je sors de l’appartement.

Je traverse d’abord un petit parc de conifères qui m’enivre de son odeur en pleine ville. À la sortie du parc, je tourne à gauche sur le trottoir et je marche quand j’aperçois une mitaine turquoise au sol. Je me retourne. Une mère et sa fille à quelque 50 mètres de moi derrière. Je me décide. Je prends la mitaine et je fonce au pas de jogging. Je constate que cette mitaine complète effectivement la paire. Je m’arrange alors pour être dans le champ de vision de la dame et lui brandis la mitaine, ne sachant quoi lui dire. « Is this yours? » Elle me regarde et me remercie : « Kiitos! » Je suis tellement heureux, mon premier contact avec le commun des passants est derrière moi, et c’en était tout un!

Ma route se poursuit dans l’allégresse. Trois coins de rue plus loin, je regarde bien et je reconnais quelqu’un qui traverse la rue en ma direction. C’est Venla! Deux minutes après ma première bonne action finlandaise, je rencontre pour la première fois une personne que je connais dans les rues de Helsinki de manière fortuite. Wow! Je la quitte gonflé d’énergie au maximum et entouré de crocus qui sortent du sol avant les premiers bourgeonnements.

Ma balade aura duré quelques heures dans les rues de la ville. J’y aurai découvert de magnifiques plans d’eau, le chemin vers l’université, quelques cafés, des bars qui me verront possiblement cette fin de semaine ou la prochaine, le cinéma où j’irai certainement voir un film local en finnois pour le plaisir, le centre d’achat où je me suis procuré un téléphone cellulaire, le stade olympique des Jeux de 1952 et de nombreux petits endroits charmants. La glace est maintenant brisée. Ces premiers moments vécus avec hypersensibilité sont dorénavant derrière moi. Et, ils me manquent déjà…