Dans le dernier épisode. Jean-Philippe
visite une école, arrive en retard et laisse son vélo déverrouillé. Que lui
arrivera-t-il?
Mercredi 23 avril. Même si j’ai oublié mon cadenas
dans le rangement au rez-de-chaussée de mon immeuble, je prends la décision de
laisser mon vélo sur le support déverrouillé. Après tout, ma réputation auprès
des enseignants qui m’accueillent et de la professeure qui supervise mon stage importe
davantage.
L’école est grande. Je suis en retard de 6
minutes et je ne sais pas au pied de quel escalier je dois rencontrer Sirkka. Je
ne sais pas où donner de la tête… Je fais donc un tour rapide de l’école pour
trouver des escaliers qui m’inspirent un point de rendez-vous. Rien. Des
enfants s’amusent toutefois dans la cour et deux adultes les surveillent.
Peut-être pourront-ils m’aider? Je leur demande s’ils connaissent mon hôte. Pas
à première vue… Peut-être aussi est-ce l’anglais… Merde! À ce moment, une dame
sort de l’école et je la reconnais. C’est elle que la professeure Uitto m’a
montrée sur photo.
- Bonjour! Jean-Philippe?
- Oui! Oui!
- Comme je ne vous voyais pas de l’autre
côté de l’école, je me suis dit que vous m’attendiez peut-être de ce côté.
- Exactement!
- Je suis désolée, me dit-elle.
- Non, c’est moi qui suis désolé…
- Ça va, rien n’est arrivé!
Évidemment, tout cela se passe en anglais.
J’ai de la chance! Mon hôte croit alors qu’elle n’a pas été assez précise dans
ses indications. Elle se confond en excuses. Sauvé! Dire qu’à 11.00, j’ai
failli rebrousser chemin définitivement!
Ce stress derrière moi, je rentre dans
l’école. Le premier des deux cours auxquels j’assiste porte sur la division
cellulaire, plus particulièrement sur la méiose et la mitose. Sept étudiants en
enseignement de la biologie sont assis avec moi et l’enseignante de ce groupe au
fond de la classe pour observer le cours donné par une stagiaire. Évidemment,
je n’ai rien compris, sauf quelques mots reconnus et des schémas sur la cellule
qui me sont familiers. Assister à un cours sans comprendre peut paraitre peu
efficace à première vue. Cependant, c’est génial, car on oublie alors le
contenu et on se replie sur le climat et les interactions entre l’enseignant et
les élèves. Un monde qui n’est pas accessible à toutes celles et tous ceux qui
comprennent la langue s’ouvre alors à nous.
Une fois le cours terminé, je vais manger à
la cafétéria avec Sirkka, mon hôte officielle. Elle m’offre le repas, car les
adultes doivent payer. Pour les élèves, le repas est gratuit. Les Finlandais
ont décidé de donner une chance égale à toutes et à tous de manger un repas
décent le midi. Cette mesure qui s’applique à l’ensemble du pays me fascine. Elle
est pour moi un des premiers témoins phares de la justice sociale qui prévaut
dans ce pays. Depuis mon arrivée, les signes d’une société qui a réellement
choisi la sociale démocratie se multiplient. Je pourrais vous citer des
exemples dans de nombreux domaines. Mais, aujourd’hui, deux exemples de choix
de société dans le domaine de l’éducation attirent mon attention.
Avant toute chose, il importe de mentionner
que la Finlande jouit d’une réputation de première classe en matière
d’éducation. Depuis plus de dix ans, elle arrive au 1er rang de tous
les pays occidentaux dans les grandes enquêtes internationales sur l’éducation
(PISA). Un exploit! Des délégations de partout dans le monde viennent visiter
ce pays. On les appelle les pèlerins de l’éducation. Deux pays asiatiques les
surclassent. Cependant, ces pays sont reconnus pour étouffer les enfants dans
des séances d’étude qui peuvent aller jusqu’à 23h. En contrepartie, la Finlande
a choisi de mettre l’accent sur le plaisir d’aller à l’école et de ne pas
mettre sa jeunesse sous pression. Les résultats sont tels qu’il y a quelques
années, une panique générale s’est installée dans la population. Le taux de
graduation au secondaire est passé de 97% à 95%. Faites vos recherches pour le
Québec et vous tomberez à la renverse!
Je vous parlais donc de deux exemples qui
retiennent mon attention dans ce modèle éducatif pour tous. D’abord, la
Finlande possède strictement des écoles publiques. Il y aurait des écoles
privées, mais elles seraient destinées à des vocations très particulières,
comme des parents qui veulent que l’école de leur enfant ne contienne pas
d’objets de plastique, que du bois. Ces écoles ne sont pas financées par
l’État. Imaginez, un pays sans école privée, ou presque.
Loin de moi l’idée de juger les parents qui
envoient leur enfant à l’école privée au Québec. J’en ai moi-même fréquenté une et j’ai adoré ces cinq années. Le problème, à mon avis, réside dans le fait
que le financement et l’augmentation des écoles privées engendrent la
diminution de la qualité de l’éducation dans les écoles publiques. Pour avoir
enseigné dans des écoles publiques au Québec, je vous assure que d’être dans un
groupe qualifié de régulier
aujourd’hui a tout ce qu’il y a de moins régulier… D’entrée de jeu, les
conditions d’apprentissage s’avèrent défavorables à ces élèves. On peut alors
mieux comprendre pourquoi des parents choisissent l’école privée. Je ne les
blâme pas. La faute revient toutefois au système, donc à l’État, qui encourage
ces disparités entre les familles fortunées et moins fortunées. Je vous le
garantis, en finançant les écoles privées, aucune mesure gouvernementale ne
saura réduire de manière draconienne le décrochage scolaire, hantise de tous
les ministres de l’Éducation. Les conditions de réussite se détériorent
beaucoup trop dans le réseau public. Rappelez-vous le taux de décrochage
scolaire en Finlande!
Le deuxième point que je souhaite soulever
à l’égard du système éducatif finlandais est l’accès à l’enseignement supérieur
pour tous. Ravivons 2012. En Finlande, l’éducation est totalement gratuite, de
la maternelle à l’université. Au primaire et au secondaire, toutes les
fournitures scolaires sont payées par l’État. Et, tenez-vous bien, les
étudiants à l’université, en plus de ne pas payer de frais de scolarité,
peuvent percevoir une allocation mensuelle de 400€ de l’État. Pour vous
rassurer, oui, l’État peut mettre un terme à ces allocations en cas d’échec.
Ces découvertes m’ont replongé illico dans
le Printemps étudiant de 2012. Celles et ceux qui me connaissent savent bien que
j’étais dans la rue. Il y a deux ans, j’étais dans la rue parce que j’avais la
conviction profonde que le Québec pouvait se permettre l’éducation gratuite, du
primaire à l’université, parce qu’ultimement, ça représente une richesse. Tout
dépend de nos priorités comme société. Le système financier ou la majorité de
la population? Le cas de la Finlande ancre encore plus profondément cette
conviction qu’il est possible de s’offrir la gratuité scolaire. Pourquoi? Tout
simplement parce qu’ici, ce n’est pas un rêve de pelleteur de nuages comme au
Québec, mais une réalité.
L’argument économique, vous l’attendez, il
est là! La Finlande est reconnue pour la vigueur et la compétitivité de son
système économique. Quel est le produit intérieur brut (PIB) annuel par
habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA)? La Finlande a un PIB (PPA) de
44 488$, alors que le Québec a un PIB (PPA) de 35 111$. Autrement
dit, la Finlande a un PIB qui est plus élevé de 26,7% que celui du Québec,
malgré la mise en place de multiples mesures de justice sociale dans la
société. Traduction : plus de richesse par habitant en Finlande. Pour moi,
la preuve est dorénavant faite qu’en diminuant les inégalités sociales, qu’en
finançant davantage de programmes publics, un pays peut se porter mieux. Chez
nous, plusieurs politiciens nous font peur en nous laissant croire le
contraire. Pourtant, les revenus de l’État peuvent être augmentés au moyen des
entreprises financières, des multinationales, des redevances sur les mines et
sur l’eau, des abris fiscaux, etc. Autant de nouveaux revenus qui ne touchent
pas la classe moyenne, mais nous pourrions bénéficier.
Il serait dommage de vous laisser tenter
par la banalisation de cet exemple. Car, en effet, la Finlande ressemble
largement au Québec, tant en terme de population que de climat ou de ressources
naturelles. On peut donc difficilement se dire, « Oui, mais au Québec ce n’est
pas pareil… » Non, ce n’est pas pareil, mais les similitudes sont
beaucoup plus nombreuses que les différences.
Je ne saurais terminer ce billet sur
l’éducation en saluant au passage la première annonce d’Yves Bolduc, notre
nouveau ministre de l’Éducation, celui qui a le devoir d’être porteur d’espoir
pour la jeunesse québécoise, qui comme première annonce officielle nous a parlé
de compression de postes.
Puisque cet article soulève d’importants
enjeux de société, je vous invite à le commenter. Si vous ne savez pas comment, j'ai ajouté une section explicative dans le haut du blogue. N’hésitez surtout pas à manifester
vos désaccords et vos nuances, car après tout, la vraie politique se trouve dans les échanges
entre nous, les citoyens.
Ah oui! Mon vélo m’a attendu sagement jusqu’à
ma sortie de l’école, je l’adore!
Jean-Philippe xxx
Postscriptum. Pour une fabuleuse entrevue inspirante
sur la sociale démocratie en Scandinavie, je vous invite fortement à écouter cet
entretien : http://ici.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2013-2014/chronique.asp?idChronique=335307
Postscriptum II. Pour être averti de la parution des nouveaux articles, inscrivez votre courriel dans la rubrique de la marge de droite. N'hésitez pas à partager le blogue!
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Pourquoi c'est si dur de penser que des choses comme ça sont possibles chez nous? Selon moi, surtout à cause du paradigme dans lequel notre rhétorique évolue. C'est drôle, je suis entrain de lire 1984 de George Orwell. Pour ceux qui ont déjà flirté avec cette oeuvre, il existe dans le monde du livre une nouvelle langue quasi-universelle le «Newspeak» qui est en fait une réduction de vocabulaire et une sélection sémantique de l'anglais. Ce rognage de la langue se fait en symbiose avec les idéologies du parti totalitaire au pouvoir. C'est ce qui à petite échelle se passe dans les discours socio-économique au Québec. Nous assimilons une seule façon de nommer et se définir le concept «économie» et notre pensée est dictée par système éthique relativement standardisé.
RépondreSupprimerEn complément, je nous suggère bien entendu de lire «1984» mais aussi de regarder ce magnifique clip vidéo fait par nos voisins américains et qui déconstruit à sa manière le fatal argument : «Oui, mais on peut pas se permettre ça en tant que société!» C'est dans le contexte états-unien, mais c'est transférable à chez nous.
http://youtu.be/G49q6uPcwY8 (vous pouvez activer des sous-titres si vous le souhaitez : repérez le bouton «CC»)
Encore une fois JP, article très enrichissant ! Bien évident que lorsqu'on s'intéresse, s'implique le moindrement, de près ou de loin, dans notre environnement culturel, social, politique ou autre, on sent que nos gestes peuvent avoir de l'impact. En terminant, merci d'avoir mis fin à mon stress pour le vélo ! LOL xxx
RépondreSupprimerJe te laisse seulement avec deux belles citations d'Yves Bolduc qui me laissent sceptique par rapport à sa compétence à gérer le système d'éducation de façon juste et équitable.
RépondreSupprimer- «Il faut vraiment faire le virage étudiant, c'est-à-dire consacrer le maximum des ressources au service à la clientèle. Les clientèles plus vulnérables, ceux qui sont en troubles d'apprentissage, en difficulté scolaire, vont être mes clientèles prioritaires»
- "Notre priorité, ce sera les étudiants. Ce qu'on peut faire pour améliorer la réussite scolaire et la persévérance, et éliminer la violence et l'intimidation." = Si tu veux être ministre de l'éducation, commence par apprendre le vocabulaire mon grand. Des étudiants et des élèves, c'est pas la même affaire. Tant qu'à ça, c'est plus safe pour toi si tu continue à parler de "clientèle"...
Allo J. P.
RépondreSupprimerYé pas juste beau ton vélo ..Yé gentil ! Je sais que même s'il est rouge il n'est pas libéral ou fédéraliste, il est Carré!
C'est certain qu'au Québec on en a des prophètes de malheur pour brandir des épouvantails qui nous empêchent d'évoluer, de croire que c'est possible un monde meilleur, de réfléchir, de se mobiliser...bouhOUOUOU !!!
On a peur, on dors au gaz et on est bien soumis... Je suis un peu découragée ces temps-ci !
MANON FAIT QQCHOSE !
P.S.: Te lire me rappelle si intensément ces émotions du voyageur face au «Nouveau grand jamais vu». Également ce chemin de croix qui me ramène en sixième année avec notre professeur M Houle qui nous avait proposé un «remake» du chemin de croix filmé (novateur à l'époque) ou peut-être que c'était seulement des photos (photo-roman) lors de notre sortie à la cabane à sucre... ... ... Oreille de crisss !!!
RépondreSupprimerPiste de réflexion:
RépondreSupprimerArrêter de subventionner les écoles privées...Ça devrait commencer par là ?
Est-ce que le peuple aimerait cette idée ?
Je crois que plus nous encourageons le système public privé, plus cela dégrade les conditions d'apprentissage au public. Les enseignants peuvent être fantastiques, mais ils ne sont pas des magiciens...
SupprimerJe crois qu'il devrait y avoir une diminution progressive (10-15 ans) du financement des écoles privées. Par la suite, celles et ceux qui ont les moyens de payer le privé peuvent continuer à le faire. En ramenant les enfants de toutes les classes sociales dans les mêmes classes, ça favorise la tolérance, la mixité sociale, donc l'inclusion et l'acceptation, et ça crée des classes plus homogènes entre elles. Quand tous les enfants problèmes se retrouvent dans la même classe au secondaire, on peut tout mettre en place, mais on gaspille beaucoup d'argent inutilement!
C'est un énorme débat, mais le statut quo ne tient plus la route à mon avis si on veut que s'améliore l'école gratuite, l'école publique.
Merci, Jean-Philippe pour ce voyage virtuel ! Si j'étais encore éditrice, je te proposerais une publication ! J'espère que tu songeras à faire un manuscrit de tes écrits...
RépondreSupprimerEn effet, le système éducatif finlandais nous est toujours décrit comme un eldorado inaccessible pour nous, pauvres Québécois. Il faut une volonté citoyenne pour qu'une volonté politique se dessine. Quant aux annonces d'Yves Bolduc, je trouve inquiétante sa décision de remettre sur la sellette l'anglais intensif en 6e année. Je sais que le sujet "divise" (mot à la mode), mais pédagogiquement parlant, l'expérience est plutôt dommageable.
Bon, je continue la lecture de tes articles.